D’incertitude totale à occasion idéale : Les années les plus difficiles et les plus gratifiantes qui soient

D’incertitude totale à occasion idéale :
Les années les plus difficiles et les plus gratifiantes qui soient 21 juillet 2023

Un entretien entre Mark Rose, président du Conseil et PDG, et Jennifer Rosenak, directrice, innovation et intelligence du marché, Avison Young

an image of hands at a laptop computer 2023 CEO interview about market uncertainty and opportunity

Jen Rosenak: Mark, vous avez vu plusieurs cycles en immobilier commercial. En quoi ce ralentissement est-il différent ?

Mark Rose:Si sous certains aspects ce cycle est différent, je vois des facteurs complexes qui mènent à des conditions sans précédent. Avec le changement radical en liquidités, la pression des changements climatiques sur l’environnement bâti et l’évolution de l’utilisation des bureaux, nous sommes dans un concours de circonstances extraordinaire. Pourtant, les éléments fondamentaux à long terme en immobilier commercial vont de neutres à positifs et on constate une plus grande sensibilisation à notre orientation vers des villes et des lieux de travail dynamiques, et le travail innovateur nous amène dans une ère de nouvelles opportunités et d’optimisme stratégique.

Vous avez mentionné l’effet des liquidités sur les institutions financières et le secteur immobilier. Est-ce différent vis-à-vis les cycles précédents ?

Depuis l’hyperinflation des années 1970, les prix sont demeurés relativement bas et stables dans la plupart des économies occidentales en raison des politiques des banques centrales travaillant avec divers facteurs plus larges, comme la mondialisation des échanges et des marchés des capitaux. Ces facteurs ont eu pour effet la longue tendance à la baisse des taux d’intérêts et les rendements des obligations gouvernementales : la référence pour le coût de l’endettement et la tarification de presque tous les actifs d’investissement, y compris l’immobilier.

30 ans d’inflation

Après la crise économique de 2007 à 2009, les banques centrales autour du globe ont baissé les taux d’intérêt à zéro et inondé les marchés des capitaux avec des liquidités par l’assouplissement quantitatif (AQ), créant des conditions de rendements immobiliers faciles alimentées par les crédits bon marché et les taux de capitalisation en chute libre. Les grands investisseurs semblaient encore meilleurs et des gageures plus risquées furent appuyées par cette politique accommodante, mais le contexte historique le démontre, ces conditions inusitées ne devaient pas durer.

Parlons-en davantage. Quel a été l’élément déclencheur ?

Plus de liquidités ont été injectées pour freiner l’impact de la pandémie de COVID-19 et cela s’est avéré être l’élément déclencheur d’une correction inévitable. L’économie mondiale s’est remise de sa contraction des mois de confinement, les problèmes de chaîne d’approvisionnement (combinées à des marchés de l’emploi serrés et l’invasion de l’Ukraine par la Russie) ont causé une surtension de l’inflation qui a persisté plus longtemps que prévu, soutenue en partie par les hausses de salaires. L’inflation a atteint deux chiffres dans de nombreux pays, obligeant les banques centrales à hausser fortement les intérêts et à renverser l’AQ par un « resserrement quantitatif » afin d’éviter le retour de la « stagflation » des années 1970.

Inflation = taux d’intérêt

Les banques centrales ont indiqué que d’autres hausses de taux sont probables. Quel en sera l’impact ?

L’ère de l’ingénierie financière pure selon de très faibles taux d’intérêt est révolue. En termes plus simples, l’argent a à nouveau un prix. Cela signifie que le prix de chaque investissement, que ce soit des obligations gouvernementales et corporatives ou plus, sera réévalué, y compris l’immobilier. Ce en quoi cela affectera les divers marchés, secteurs et actifs individuels variera grandement, mais les investisseurs exigeront une prime adéquate pour investir dans des actifs plus risqués comme l’immobilier.

Parlons maintenant du climat et de l’environnement bâti : nous voyons des réglementations et des exigences des occupants exercer une pression sur des actifs pour qu’ils atteignent des normes environnementales plus strictes. Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs ?

Souvent, nous voyons que les réalités actuelles des loyers, valeurs en capital et coûts de rénovation signifient que le travail requis n’est pas rentable. Le besoin de financement est criant (les banques hésitent à en donner présentement) et le secteur public doit donner un coup de main. Aux États-Unis, la loi sur la réduction de l’inflation fournit des incitatifs fort appréciés pour l’investissement, sous forme d’octrois et de déductions d’impôts, mais cela ne suffira pas. Ils fournissent la carotte, mais le bâton proviendra de la plus grande différence de prix entre les propriétés « vertes » mises à niveau et les « traditionnelles » à prix réduit. Cela sera un casse-tête pour de nombreux propriétaires existants, mais il y a là une excellente occasion pour ceux qui ont les connaissances, les aptitudes et le capital d’acquérir et améliorer des actifs afin de les repositionner pour l’avenir. Les modèles de financement devront être plus novateurs, mais les aptitudes immobilières de base prévaudront. La clé consistera en un ajustement adéquat dans la tarification des actifs à rénover afin de fournir des incitatifs suffisants pour apporter les améliorations nécessaires.

Plus tôt vous disiez que les essentiels immobiliers sont, pour la plupart, intacts, mais on ne peut nier que le secteur des bureaux est dans l’eau chaude. Par exemple, le taux d’inoccupation est de 7,8 % au centre-ville de Londres (un pic depuis 2009), l’activité locative de 53,2 millions de pi2 aux États-Unis au 2e trimestre est la plus faible depuis l’an 2000 et le taux d’inoccupation est de 13,1 % au Canada et continue de grimper.

Selon moi, le balancier reviendra quand nous cesserons de parler de la mort des bureaux. En termes d’occupation, nous commençons à voir des signes d’optimisme. Au Canada, nos données montrent que les durées des baux dans les bureaux du VECTOM sont en hausse par rapport aux faibles 82 mois en janvier 2022. Nous approchons les 85 mois. Aux États-Unis, la durée de bail moyenne atteignait 82 mois en janvier de cette année comparée à 76 mois en juillet 2021. Même si c’est toujours moins long que la moyenne prépandémique de 90-100 mois, c’est une preuve de confiance des locataires et de leur engagement envers les bureaux. D’ailleurs, notre récent entretien avec FastCompany (en anglais) cite la hausse de l’activité locative et réitère les conditions favorables pour les nombreux locataires qui rehaussent leur expérience du milieu de travail.

Des siècles d’évolution dans nos façons de travailler et des millénaires d’évolution de l’humanité ne changeront pas du tout au tout en raison d’une pandémie et de l’invention de la conférence vidéo. Les humains sont sociaux et à leur meilleur en termes d’innovation et de créativité lorsqu’ils collaborent. La technologie aidera cette interaction lorsque le présentiel n’est pas requis ou rentable, mais ce n’est pas une solution de remplacement. Cela peut prendre du temps, mais la culture des bureaux reprendra sa place au fil du temps. Ce sera différent et moins « 9 à 5 », mais néanmoins une partie essentielle de notre vie au boulot. Des villes sécuritaires, accessibles et dynamiques constituent un service et les actifs durables bien situés qui appuient et rehaussent l’expérience du lieu de travail se démarqueront.

Comment envisagez-vous cette étape de la reprise ? Y a-t-il des éléments particuliers à surveiller ?

En général, les investisseurs stratégiques novateurs, expérimentés et bien capitalisés pour se concentrer sur les occasions créées par les réalités essentielles seront en meilleure posture.

Ce sera le cas pour les actifs dévalorisés qui peuvent se revaloriser grâce à un repositionnement, des rénovations ou des conversions pour réutilisation adaptée.

Pour les actifs dits verts, agir plus tôt que tard leur permettra de meilleures opportunités de capitalisation face au déséquilibre entre l’offre et la demande. Le prix d’entrée sera déterminant. Il faudra donc identifier les actifs les plus aptes à être repositionnés et, surtout, être prêts à agir lorsque les prix du marché s’ajusteront. Cela exigera de la confiance, de la patience et des actions décisives ainsi qu’une confiance continue envers le secteur public pour le succès et le financement de rénovations et aménagements verts.

De plus, le marché résidentiel et multifamilial demeure un moteur essentiel dans la plupart de nos villes. Cela comprend les priorités à court terme axées sur l’accessibilité et l’offre.

Pour conclure, le secteur industriel continue d’être renforcé par le PIB général, la croissance démographique, la demande croissante attribuée à l’IA, le stockage d’énergie et les infrastructures renouvelables ainsi que la transition entamée vers les véhicules électriques. Certaines des plus grandes innovations qui façonnent notre mode de vie viennent avec de grandes exigences et de grandes dépendances alors que nous continuons de faire tourner l’environnement bâti.

D’accord. Je crois que nous devrons faire preuve de patience. Êtes-vous optimiste ?

Oui, car on en a vu d’autres. Les cycles ont des creux de vague et des pics. En ce moment, nous sommes dans un creux de vague et vraiment pas à notre meilleur. Quand tout semble au plus mal et que les récits, vrais ou non, envahissent nos pensées, les gens robustes et stratégiques investissent et profitent. Le cycle des taux d’intérêt arrive à son pic et l’avenir se dessine plus clairement. La frustration et la confusion se dissiperont au fil de notre transition vers une phase de solide reprise. Warren Buffet a déjà dit que « les investisseurs devraient être vigilants quand les autres sont avides et avides quand les autres sont vigilants ». Ceux qui ont de la vision et la confiance pour se préparer, nous approchons un point où l’incertitude totale fera place à une occasion idéale. Les années qui s’en viennent seront sans doute difficile, mais elles seront aussi les plus stimulantes et gratifiantes qui soient.